Des bananes « neutres en carbone » du Costa Rica vendues en Belgique, voilà la promesse que fait Chiquita, le géant de la banane, aux consommateurs belges. Limit a enquêté sur l’envers de cette nouvelle étiquette verte.
Le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre préoccupant
Quand une entreprise parle de neutralité carbone, elle évoque le CO2. L’un des principaux procédés du greenwashing (procédé marketing visant à donner à une entreprise une image de responsabilité environnementale), est la concentration du message sur le CO2 uniquement.
Chiquita ne fait pas mention d’une quelconque réduction des autres gaz à effet de serre. Pourtant, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) précise bien que pour atteindre l’objectif, ambitieux mais nécéssaire, d’une limitation du réchauffement climatique à + 1,5 °C, la réduction des autres gaz à effet de serre, hors CO2, est tout aussi primordiale.
La culture de la banane émet du carbone
L’argument de la neutralité en carbone est très utilisé par les entreprises de tout domaine pour renvoyer aux potentiels clients une image de responsabilité environnementale. Chez Chiquita, ce sont des bananes produites au Costa Rica qui bénéficient d’une toute nouvelle étiquette » CO2 Neutral », neutre en carbone. Une affirmation qui pose question.
La production de banane n’est à ce jour pas neutre en carbone, et émet du CO2 tout au long du processus de culture, de traitement, et de distribution des bananes. La FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, a publié en 2017 une étude concernant l’impact environnemental de la production de banane.
Elle explique alors que la culture même de la banane pèse pour 16 à 20% dans son bilan de gaz à effet de serre (y compris le carbone). La culture comprend alors les pesticides éventuels, mais également la fabrication et l’utilisation des outils de récolte mécanique.
Le transport terrestre et maritime, ainsi que le stockage des bananes, représentent plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de la filière de la banane.
Enfin, un procédé peu connu achève d’alourdir le bilan en gaz à effet de serre de la banane ; il s’agit du mûrissage. Comme son nom l’indique, le mûrissage est le procédé qui permet aux bananes de mûrir. Les émissions de gaz à effet de serre produites sont alors dues à la consommation d’énergie nécéssaire au maintien à la bonne température des produits.
En somme, la filière de la banane, de sa culture à son acheminement et sa vente, émet bien des gaz à effet de serre.
La solution controversée de la compensation
Comme expliqué sur leur site, Chiquita applique le principe de compensation carbone. C’est grâce à cette dernière que l’entreprise peut se targuer de produire des bananes « neutre en carbone ».
D’après les informations publiées, Chiquita compense ses émissions de gaz à effet de serre notamment par du reboisement. Cependant, le consommateur n’a pas accès à des données précises explicitant le taux d’absorption et l’efficacité de cette politique de reboisement, ni même la soutenabilité des zones reboisées. Il se doit alors de faire aveuglément confiance au Protocole Carbon Neutral, qui certifient les bananes Chiquita, qui exige une communication sur l’action climatique des entreprises mais qui ne semble pas exiger, aux entreprises, une transparence aux consommateurs.
Même si les forêts sont des puits de carbone (des zones absorbant le CO2), le reboisement n’est pas une solution selon les études se penchant sur le sujet. En effet, un arbre fraîchement planté n’est pas encore assez mature pour absorber le carbone qu’aurait absorbé l’arbre alors abattu. Il faut plusieurs décennies aux forêts reboisées pour capter le CO2 dans l’atmosphère. De plus, le reboisement nécessite un réel contrôle, pas toujours effectué.
Pour justifier de son engagement, Chiquita se base sur le « Farmer’s code ». Le problème reste que le consommateur ne connait ni la source ni les exigences réelles de ce code.
L’entreprise a également mis en place le programme 30by30, visant à « réduire les émissions de CO2 de ses activités de 30 % supplémentaires d’ici la fin de 2030 ». Ici encore, le consommateur n’a pas accès a beaucoup de transparence.
De plus, le programme vise à réduire uniquement (d’ici 2030) les émissions de scope 1 (les émissions directes liées à la production) et de scope 2 (émissions indirectes liées à l’énergie), et non pas les émissions de scope 3. Hors, selon leurs propres sources, on remarque que le transport du Costa Rica à l’Europe, compris dans le scope 3, correspond à plus d’un tiers de leur empreinte carbone, soit presque autant que la culture même des bananes.
En définitive, des bananes « neutre en carbone » n’existent pas réellement. Même chez Chiquita, qui utilise cette approximation de « neutralité carbone » comme argument de vente.
La production et le transport de banane provenant du Costa Rica rejettent bien du carbone dans l’atmosphère. Les programmes de compensation par le reboisement ne peuvent être efficaces que dans plusieurs décennies et que sous certaines conditions. L’urgence climatique ne semble pourtant pas pouvoir attendre.
Amina Sidi Yekhlef