Nourrir l’humanité à en crever : le sacrifice des agriculteurs français


Siégeant à la première place des puissances agricoles européennes, notamment en terme de richesses produites, de surfaces agricoles et de nombre d’exploitations agricoles, la France cache derrière ses performances une réalité bien plus sombre. Entre surendettement, isolement et perte de sens, les conditions de vie des agriculteurs sont alarmantes.

Le suicide comme deuxième cause de mortalité

Le risque de suicide chez un agriculteur est significativement plus élevé que dans le reste de la population. D’après une étude de Santé publique France de 2013, le suicide est la troisième cause de mortalité chez les agriculteurs. On parle alors d’un suicide tous les deux jours en moyenne au sein de cette population. Aujourd’hui, les chiffres n’ont pas baissé.

Notons par ailleurs que le suicide est parfois difficile à distinguer de l’accident de travail. Les chiffres peuvent ainsi être sous-estimés. Les difficultés financières ainsi que le profond isolement sont les principales causes de suicide chez les agriculteurs.   

Des difficultés financières 

L’agriculture en France n’offre pas une vie digne à ses travailleurs, malgré l’intérêt premier de leur activité. D’après Solidarité paysans, un agriculteur français de moins de 40 ans est endetté en moyenne à hauteur de 250 000 €. Le surendettement est tout d’abord lié à une injonction à la modernisation des exploitations. La demande de rendements se voulant très exigeante, ces investissements sont impératifs pour maintenir l’exploitation à flot.

Paradoxalement, ces investissements en capital sont l’une des raisons du surendettement. Il est souvent très difficile voire impossible de rentabiliser les nouvelles machines avec les revenus touchés. Ainsi, avec des rémunérations plus que modestes, la dette tend souvent à se creuser au fil des années. Un contexte géopolitique augmentant le prix de l’énergie ainsi qu’une sécheresse estivale record augment significativement les charges des agriculteurs.

On entend notamment parler des producteurs de lait français, protestant contre certains grands distributeurs ne respectant pas la loi EGalim 2, impliquant une juste rémunération des agriculteurs. À moins d’un euro le litre de lait, il n’est pas possible pour le producteur français d’entrer dans ses frais. Le surendettement des agriculteurs est loin de n’être qu’une question d’investissement. Beaucoup d’entre eux travaillent à perte, en raison de la pression constante des distributeurs sur les prix. 

Un environnement agricole nocif

Bien qu’ils ne soient pas plus concernés par les cancers que la population générale, les agriculteurs connaissent un risque plus élevé face à certains cancers spécifiques, possiblement liés à l’exposition au soleil et aux produits phytosanitaires.

Les études actuelles ne permettent pas de considérer les pesticides comme premiers facteurs de risque de certains cancers. Les comparaisons entre population générale et population agricole aux sujets de cette maladie étant périlleuses en raison des nombreux facteurs (environnementaux mais aussi génétiques, de mode de vie, etc).

Cependant, il n’est pas à exclure la possibilité d’un lien entre exposition aux pesticides (contact avec la peau, inhalation ou ingurgitation) et développement de certaines maladies. L’enquête Agrican montre que l’environnement propre aux exploitations agricoles augmente le risque de développer de l’arthrite rhumatoïde et de l’ostéoarthrites.

En définitive, bien que les agriculteurs soient en moyenne en meilleure santé que le reste de la population, du fait notamment de leur mode de vie, leur activité semble être un facteur de risque non négligeable. À noter que les études sur la santé des agriculteurs subissent le biais du travailleur sain. Les enquêtes étant faites sur des agriculteurs encore en exercice, cela exclut automatiquement des recherches les agriculteurs en arrêt, en raison de problèmes de santé, ou les retraités, pouvant développer des maladies sur le tard du fait de leur ancienne activité.

Mort de l’agriculture locale et environnement

La question de la rémunération des agriculteurs français n’est pas étrangère à l’enjeu de la justice sociale et au défi environnemental. Face à des conditions de vie et d’exercice indignes, les produits locaux se font de plus en plus rares et chers.

Sans aide suffisante de l’État aux agriculteurs, leurs coûts de production ne pourront baisser et ainsi leurs prix devenir abordables. Une baisse des prix est absolument nécessaire pour faire concurrence aux grandes exploitation agricoles étrangères. L’exploitation et le rapatriement des produits agricoles issus de l’agriculture intensive sont à l’origine d’une réelle catastrophe écologique. Mieux armer la population française face à l’inflation est obligatoire pour l’inciter à consommer local et ainsi faire pencher la balance.

Le sacrifice des agriculteurs français n’est que la partie visible de l’iceberg. Entre exploitation des sols et des Hommes, le suicide paysan est une réelle sonnette d’alarme.

Amina Sidi Yekhlef


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