Alors que les délais climatiques se rapprochent, de nouvelles recherches révèlent que notre capacité à augmenter rapidement le stockage souterrain du carbone pourrait ne pas être suffisante, remettant en question les objectifs ambitieux fixés pour limiter le réchauffement planétaire.
Le stockage du dioxyde de carbone (CO2) sous la surface de la Terre a été présenté comme une solution potentielle pour atténuer les effets du changement climatique. Dans un contexte où les émissions mondiales continuent de croître, cette technologie est censée permettre de capter le CO2 directement à la source, principalement dans les centrales électriques et les installations industrielles, puis de le stocker de manière permanente dans des formations géologiques profondes, telles que les anciens réservoirs de pétrole et de gaz.
L’idée est simple : en piégeant le CO2 avant qu’il ne puisse atteindre l’atmosphère, nous pourrions limiter le réchauffement de la planète. Les scénarios internationaux pour limiter le réchauffement à moins de 1,5 degré Celsius d’ici la fin du siècle reposent en grande partie sur l’utilisation de ces technologies de capture et de stockage du carbone (CSC). Ces scénarios impliquent de retirer le CO2 de l’atmosphère à un rythme de 1 à 30 gigatonnes par an d’ici 2050, un chiffre colossal si l’on considère les volumes actuels.
Cependant, de nouvelles recherches menées par l’Imperial College London montrent que les projections actuelles de la capacité de cette technologie semblent trop optimistes. Selon cette étude, même si dans le meilleur des cas, il pourrait être possible de stocker jusqu’à 16 gigatonnes de CO2 par an d’ici 2050 (nous étions à 40 gitatonnes par an en 2023), atteindre ce niveau nécessiterait une augmentation massive et rapide de la capacité de stockage, bien au-delà des investissements et du développement actuellement prévus.
Cette étude arrive à un moment crucial. Alors que de nombreux gouvernements, dont celui du Royaume-Uni, misent sur le développement du CSC pour réduire leurs émissions et se positionner en tant que leaders dans l’énergie propre, les résultats de cette recherche rappellent qu’il est essentiel d’aligner les ambitions avec la réalité. Les résultats ont été publiés aujourd’hui dans la revue Nature Communications.
Pourquoi le stockage du CO2 est-il important ?
Les technologies de capture et de stockage du carbone sont souvent présentées comme un pilier essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Elles sont particulièrement cruciales pour les secteurs où la réduction des émissions est difficile, comme la production d’acier et de ciment, ou pour les centrales à combustibles fossiles qui ne peuvent pas être facilement remplacées par des sources d’énergie renouvelable. Sans ces technologies, il pourrait être impossible de réduire suffisamment les émissions pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux.
Cependant, miser trop sur cette technologie pourrait s’avérer un piège. Si les capacités de stockage ne peuvent pas être développées assez rapidement, nous pourrions nous retrouver dans une situation où les émissions continuent de croître, sans que les solutions de secours prévues ne soient disponibles à temps. Cela pourrait faire échouer les efforts mondiaux pour limiter le réchauffement climatique à des niveaux sûrs.
Objectifs réalistes et défis techniques
L’équipe de recherche de l’Imperial College London a utilisé des modèles sophistiqués pour simuler le développement et le déploiement des systèmes de stockage du carbone, en tenant compte de la disponibilité des formations géologiques appropriées, des limitations techniques et économiques, ainsi que des obstacles politiques.
Yuting Zhang, auteur principal de l’étude, explique : « Il y a de nombreux facteurs à considérer dans ces projections, y compris la vitesse à laquelle les réservoirs peuvent être remplis et les questions géologiques, géographiques, économiques, technologiques et politiques. Cependant, des modèles plus précis, comme ceux que nous avons développés, nous aident à mieux comprendre comment l’incertitude dans la capacité de stockage, les variations institutionnelles selon les régions, et les limitations du développement peuvent affecter les plans climatiques et les objectifs fixés par les décideurs. »
Le Dr Samuel Krevor, co-auteur de l’étude, ajoute : « Bien que stocker entre six et 16 gigatonnes de CO2 par an pour lutter contre le changement climatique soit techniquement possible, ces projections élevées sont beaucoup plus incertaines que les projections plus modestes. Cela est dû au fait qu’il n’existe actuellement aucun plan concret de la part des gouvernements ou des accords internationaux pour soutenir un effort à si grande échelle. »
Les chercheurs ont découvert que les modèles utilisés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour estimer la capacité de stockage dans certains pays, notamment en Asie, pourraient être trop optimistes. Ces projections présument des taux de déploiement élevés dans des régions où le développement est encore faible, comme en Chine, en Indonésie et en Corée du Sud. Cela suggère que les projections actuelles pour ces régions sont probablement irréalistes.
Un objectif mondial plus réaliste
Les calculs des chercheurs suggèrent qu’un objectif mondial plus réaliste serait de viser un stockage de 5 à 6 gigatonnes par an d’ici 2050. Ce chiffre est en ligne avec la manière dont des technologies similaires ont été développées au fil du temps dans d’autres secteurs industriels, comme l’exploitation minière et les énergies renouvelables.
Leur approche de modélisation utilise des schémas de croissance observés dans des données réelles provenant de différentes industries. En examinant comment ces industries ont évolué dans le passé et en combinant les quantités existantes de CO2 stocké avec un cadre flexible pour explorer différents scénarios, cette nouvelle méthode offre un moyen plus fiable de faire des projections à long terme pour le stockage souterrain du CO2, ce qui pourrait être un outil précieux pour les décideurs.
Le Dr Krevor conclut : « Notre étude est la première à appliquer des schémas de croissance provenant d’industries établies au stockage du CO2. Les prédictions existantes reposent souvent sur des hypothèses spéculatives, mais en utilisant des données historiques et des tendances provenant d’autres secteurs de l’industrie, notre nouveau modèle offre une approche plus réaliste et pratique pour prédire la rapidité avec laquelle le stockage du carbone peut être développé, nous aidant ainsi à fixer des objectifs plus atteignables. »
Cette étude, financée par l’Engineering & Physical Sciences Research Council (EPSRC), qui fait partie de UK Research and Innovation (UKRI), et la Royal Academy of Engineering, souligne l’importance de la prudence dans l’élaboration de stratégies pour lutter contre le changement climatique. Miser sur des technologies non encore prêtes pourrait s’avérer une fausse solution, alors que des actions plus immédiates et réalisables sont nécessaires pour réduire les émissions et protéger notre planète.
Lien vers l’étude : https://www.nature.com/articles/s41467-024-51226-8
Vinz Kanté