« Ouin Ouin, la décroissance c’est le Moyen-âge ! »

Beyond Growth : quand la décroissance s’invite au parlement européen pour 3 jours de conférences

Questionner les experts, les scientifiques et les décideurs politiques sur ce qu’il y aurait derrière le mythe de la croissance économique infinie, c’est ce qu’il s’est passé le lundi 15 mai et pour 3 jours au Parlement européen. Et plus précisément la question était de savoir comment nous devrions transformer notre modèle de société lorsque la croissance perpétuelle s’arrête enfin. Et si cette croissance qui a été érigée en totem de la prospérité n’avait jamais eu aucun sens ? 

Il y a deux cas pour lesquels la croissance économique va nécessairement s’arrêter et ce n’est pas une fatalité de l’exprimer, soit par l’impératif des limites planétaires (on aura alors exploité toutes les énergies et toutes les ressources) soit par un sursaut de conscience des pays dits “riches” et qui entretiennent un mode de vie destructif pour la planète. Cette deuxième option étant préférable pour anticiper les grands défis de l’humanité au XXIe siècle.

Retour sélectif en 3 questions sur un évènement au ton inhabituel qui a eu lieu où siègent habituellement les députés européens.

Croissance économique ou déclin de la puissance d’être ?

Aurélien Barrau est l’un des orateurs de BeyondGrowth. Ce qui nous plaît chez cet astrophysicien c’est son engagement philosophique et son sens du verbe à la fois esthétique et outrageusement réaliste. Pour provoquer toutes les hégémonies de ce monde, pourquoi ne pas commencer par s’exprimer en français alors que la diversité linguistique semblait éradiquée au parlement européen ? Aurélien Barrau est un orateur qui incarne ses propos et quel plaisir de voir fleurir ses verbes emplis d’un constat sans ambiguïté.

“il existe des limites planétaires, nous les dépassons, c’est intenable. Plus encore que le réchauffement climatique, la détérioration de l’intégrité de la biosphère constitue une menace extrême. Notre salut n’est pas compatible avec la poursuite de la croissance”

Aurélien Barrau l’affirme avec la force des mots, nous sommes responsables d’un crime de masse. Nous prélevons à la nature plus que de raison et nous transformons notre habitat, la planète, en déchets et cela en vertu de la croissance économique, cette grande machine de destruction de vie non-humaines qui industrialise par ailleurs les inégalités sociales.

Pour Aurélien Barrau « il n’y a aucun sens à nommer croissance ce qui relève du déclin de notre puissance d’être » en poursuivant « artificialisation du réel, anéantissement de nos potentialités : comment cela pourrait être considéré comme de la croissance ? C’est une contradiction dans les termes, ne nous laissons pas voler les mots par les fous ».

« Il y aurait tout de même une bonne nouvelle : il n’y aurait aucun effort à faire puisque ce qui détruit la vie et c’est ce qui détruit ou érode le sens ». Suivre nos (bons) sens doit donc nous amener à la plus grande des vertus, celle de retrouver cette inclination naturelle au bon et à la vérité où se logerait la solution de notre aliénation.

Les experts et scientifiques semblent souvent d’accord pour dire que le mot décroissance est mal choisi puisque cela suggérerait à tort une posture intellectuelle à rebours du progrès, une sorte de nivellement par le bas. Au lieu de parler de décroissance, Aurélien Barrau invite alors à la croissance, des idées, de l’amour, de l’intelligence, de l’empathie, ce que nous nommons improprement décroissance, dit-il, ne réfère qu’au sortir de nos addictions mortifères. La décroissance ne serait pas une privation mais une guérison.

En effet, les gens sérieux qui siègent dans l’hémicycle du parlement européen dit-il nomme croissance le fait de : 

  • dévaster les fonds marins, puisque le commerce des produits de la pêche permet une augmentation du PIB ;
  • dévaster une forêt puisque cette destruction permet de fabriquer des tables et des emplois qui augmentent également le PIB.

La croissance est permise par la destruction systématique de la vie, sous les auspices d’un prophète qu’on appelle Produit Intérieur Brut. Et pour celui-ci, tout est bon à prendre pour grossir. Le problème étant que les personnages politiques sont aujourd’hui incapables d’édifier un programme sans cet outil qu’est la croissance économique.

Puisque “nous sommes la civilisation la plus meurtrière de tous les temps, la plus inepte et malheureuse”, Aurélien Barrau nous propose d’abandonner toute suffisance, de renouer avec une certaine forme d’humilité, et de chercher à apprendre plus qu’à enseigner, notamment au reste du monde.

La seule question est celle des finalités, nous dit Aurélien Barrau, où voulons-nous aller ? Un tout autre monde sevré de nos addictions pernicieuses et de nos prédations nécrophiles ne relèverait peut-être ni de l’effort ni de l’ascèse mais de la jouissance assumée d’une puissance réinvestie.

Aurélien Barrau – Beyond Growth – LIMIT 2023

Qu’est-ce que la décroissance ? 

Le député européen Philippe Lamberts qui est aussi l’organisateur de la conférence Beyond Growth annonçait en préambule ce qui est bien le cœur de la transition politico-économique à opérer : comment pouvons-nous maintenir une qualité de vie suffisante, assurer la qualité des services publics et garantir la redistribution des richesses dans un monde qui ne croît plus économiquement de façon perpétuelle ?

Les politiques de tous nos gouvernements se basent sur un postulat de base : tout programme se finance par la croissance. L’enjeu de la politique de notre époque est donc de se réinventer et de proposer un projet de société sans cet outil, la croissance, désirable pour sortir de la pauvreté mais aux conséquences délétères dès lors que les besoins essentiels sont assouvis.

« La croissance économique est nécessaire pour financer le bien-être, c’est ce qui la rend désirable » nous dit Timothée Parrique, docteur en économie et spécialiste de la décroissance dans l’hémicycle du parlement européen mais « Quel que soit le coût de la décroissance aujourd’hui, il sera préférable à celui de l’effondrement demain. La décroissance est une stratégie préventive ».

Il y a des décroissances qui sont bénéfiques voire rentables (bien que cela ne soit pas le but) si on compte les coûts de santé des personnes malades par une forme de pollution ou d’intoxication. Fabriquer moins de SUV pour rester en meilleure santé avec moins d’intoxication, n’est-ce pas vertueux ?

“L’argent n’est pas le facteur limitant pour programmer la décroissance, ce sont les ressources naturelles qui le sont. Et c’est là que les arbitrages sont nécessaires. À quantité de ressources définies, continuons-nous à fabriquer des parkings (parce que c’est rentable) ou devrions-nous préférer la construction de pistes cyclables ? Et vaut-il mieux allouer des ressources (le temps d’une personne) pour créer des publicités qui incitent à prendre l’avion ou allouer ces mêmes ressources à enseigner les maths à des enfants ?”

Planifier l’économie et définir quelles activités sont utiles et doivent être prioritaires, voici une piste courageuse que Timothée Parrique amène dans le débat, quitte à supprimer des pans de l’économie qui sont socialement inutiles (comme la publicité).

“Pour les pays « développés » que nous sommes en Europe, les facteurs limitants ne sont ni l’argent ni les compétences, notre budget se compte en énergie disponible, en quantité de gaz à effets de serre qu’on peut émettre (ou pas), en tonnes de minerais accessibles, en quantité d’espèces qu’on veut protéger et surface de sol qu’on veut préserver.”

Nous sommes en déficit écologique et la décroissance économique est une trajectoire de société qui permet d’intégrer la régénération du vivant et de la nature au sein même des activités humaines alors transformée démocratiquement vers une réduction de la production et de la consommation et cela dans un souci de bien-être et de justice sociale.

La décroissance, ce n’est pas “se limiter à” mais “se suffire de l’essentiel et du nécessaire”. Entre les deux, le monde peut être préservé durablement. La décroissance, c’est être plus heureux, sans le consumérisme et en pouvant imaginer un futur qui redeviendrait souhaitable. Et si nous ne prenions pas peur de contracter l’économie (et cet indicateur de référence devenu obsolète qu’on appelle toujours le PIB) pour transformer en profondeur notre société avec une posture respectueuse de la nature, bienveillante envers les hommes et tout à la fois régénératrice du vivant ?

Pour la politique il s’agit de découpler le bien-être de la croissance économique et des pressions sur l’environnement. Voici un défi qui mérite d’être relevé.

La décroissance n’est pas une option et la véritable question pour Timothée Parrique est plutôt : “comment organiser la transition vers la décroissance pour qu’elle soit juste, démocratique et conviviale ?”. Bien sûr, il a beaucoup d’idées pour y parvenir.

Comment planifier la décroissance ?

Pour terminer ce regard transversal sur le cycle de conférences BeyondGrowth, allons donc au-delà de la croissance comme on a voulu se plaire à appeler ce cycle de conférences, pour évoquer des outils bien concrets : les trajectoires de transitions. 

Des experts et architectes de l’économie construisent des trajectoires à coups de mesures politiques pour que les objectifs environnementaux soient atteints. Il s’agit là de la partie technique et opérationnelle de la transition. Fort heureusement, nous avons Stéphane Bourgeois de l’association NégaWatt qui a présenté le cadre de CLEVER qui est un scénario qui a l’ambition d’amener l’Europe à la neutralité carbone par le développement durable tout en sécurisant ses approvisionnements en énergie (se libérer de la dépendance à l’importation). L’approche est basée sur la suffisance, l’efficience et les énergies renouvelables.

  • Suffisance : c’est réduire les services dans l’économie pour qu’ils fournissent ce qui est suffisant (stop la surabondance ou au surdimensionnement) tout en réduisant la consommation en ressources nécessaires. Le scénario prévoit une réduction de 55% de la demande en énergie en 2050 par rapport à 2019.
    • Exemple : lorsque le déplacement en voiture est inévitable, une petite citadine rendra le même service qu’un SUV qui est un véhicule lourd. Un véhicule léger est suffisant. Pour de courtes distances, remplacer la voiture par la marche ou le vélo est également suffisant.
  • Efficience : c’est améliorer les techniques et la technologie qu’une machine fasse un même travail avec moins de ressources et d’énergie.
    • Exemple : remplacer une ampoule à filament par une ampoule basse consommation est plus efficient.
  • Énergies renouvelables : c’est produire l’énergie nécessaire à l’économie devenue suffisante et efficiente avec des sources d’origine renouvelable.
    • Exemple : substituer des unités de puissance de charbon et gaz par du solaire et éolien avec des systèmes de stockage (hydrogène) pour pallier l’intermittence de ces sources d’énergie.

Les mesures pour atteindre ces objectifs seront présentées en juin, plus d’informations ici.

L’État permet structurellement toute croissance qui est injustement redistribuée à l’avantage du capital et au désavantage du travail. C’est un fait du capitalisme : l’accumulation des richesses par les plus riches via le capital. En plus d’être un concept devenu obsolète pour nos pays Européens, la croissance demeure un système qui perpétue les injustices sociales, en cela elle est doublement indésirable.

La jeunesse, les citoyens et les associations ont représenté un large panel des personnes présentes dans l’hémicycle. On peut néanmoins remarquer que le patronat et la finance ont particulièrement brillé par leur absence comme si l’extermination du vivant par les activités humaines était un problème qu’on aurait le loisir de remettre à plus tard où de laisser aux activistes.

À leur aimable intention, rappelons-nous Alexis de Tocqueville “Il n’y a que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant.”

Jonathan Delrue 

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